DE 1991 À AUJOURD’HUI, UNE RÉORIENTATION SIGNIFICATIVE DE LA SOCIÉTÉ
Après la période de remise en ordre et la prise de conscience de la nécessité d’une adaptation de la Société entre 1978 et 1991, la période suivante, qui va de 1991 à l’heure actuelle, est marquée par une réorientation significative avec l’élection de trois présidents dont les mandats vont être marqués par une volonté de donner à la Société toute sa place dans l’environnement contemporain.
Si le premier de ces trois présidents est, dans la continuité de ses prédécesseurs, un scientifique et académicien, les deux suivants sont économistes et juristes de formation:l’un a travaillé dans le monde de l’entreprise puis dans celui de la formation, l’autre appartient à la haute administration; ils se placent néanmoins dans la continuité de la longue histoire de la Société, en s’attachant à rester fidèles aux missions définies par Chaptal et par ses successeurs.
L’enjeu va être d’abord de poursuivre les réformes amorcées dès le milieu des années 1980 pour retrouver l’autonomie financière, réaffirmer le statut d’utilité publique avec l’appui des pouvoirs publics, relancer les actions de formation, développer des actions de communication scientifique et technique, reconstituer une expertise en matière de politique industrielle et renforcer les liaisons internationales. Il faut aussi élargir le cercle des adhérents, s’associer à divers réseaux de l’économie et rétablir des relations avec le monde des entreprises.
Il paraît également indispensable de repenser le rôle de la Société dans une économie de plus en plus mondialisée et de plus en plus tertiarisée, comme va en témoigner la relance du comité des arts économiques ; les questions liées à la communication, devenues incontournables, vont désormais être confiées à un nouveau comité. l’importance des stratégies industrielles va être soulignée par la création de deux récompenses majeures destinées à des entrepreneurs.
A partir de 2011, la présidence actuelle, tout en poursuivant les actions entreprises, est marquée par un renforcement des activités de communication, y compris dans l’organisation de la Société; les partenariats occupent une place croissante. Dans le contexte d’une politique publique de réindustrialisation, la Société, valorisant “l’industrie 2.0”, veut mettre l’accent sur l’innovation et sur sa transmission, ainsi que sur la valorisation des savoir-faire d’excellence.
Les parcours des présidents de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale des années 1920 à nos jours
Deuxième partie : de la Libération à nos jours
Après la Libération, la Société, qui va commémorer avec éclat son cent cinquantenaire en 1951 puis le bicentenaire de la naissance de son président fondateur en 1956, doit veiller à garder son rôle traditionnel d’incitation à l’invention dans un contexte économique, scientifique et technique très différent de celui de la période qui vient d’être évoquée : elle va passer du temps de la Reconstruction à celui de la remise en question du modèle industriel classique, en traversant la période des Trente Glorieuses. A travers cet environnement changeant, elle s’efforce de valoriser l’activité, notamment de recherche, des entreprises motrices du développement du pays, et d’assurer la promotion de technologies émergentes dans les domaines de pointe de l’énergie, du spatial, de l’électronique ou du médical, avec des moyens souvent mesurés. Dans un souci marqué d’adaptation aux thématiques nouvelles, elle élargit, à partir des années 1990 le champ de ses activités en dehors de la sphère productive, vers les domaines des stratégies industrielles, de l’information et de la communication. Ses activités vont être néanmoins de plus en plus contraintes par la nécessité de louer la plus grande partie de ses locaux, et par les charges financières qui continuent de peser.
Dans la continuité de la période précédente, elle connait une série de présidents ingénieurs, pour une part polytechniciens appartenant aux grands corps et qui ont fait carrière dans le génie maritime, le génie civil, mais aussi, pour l’un d’entre eux, dans l’électronique. Cependant elle choisit aussi des ingénieurs issus d’autres écoles : un Centralien qui a fait carrière dans l’industrie électrique et électronique, marquant ainsi l’importance de cette nouvelle filière, ainsi qu’un Agronome ; on peut ajouter à la liste un Saint-Cyrien qui s’est spécialisé dans les questions énergétiques, plus précisément dans le développement de l’industrie pétrolière nationale. La diversification est encore plus importante qu’auparavant puisque, sur les treize présidents élus entre 1944 et 2012, on trouve cinq docteurs ès-sciences contre un seul entre 1920 et 1944 ; deux présidents, enfin, sont issus de filières économiques : ainsi, depuis 2012, c’est un HEC, conseiller-maître à la Cour des comptes, qui est président.
Si l’on trouve encore, comme précédemment, des personnalités issues du monde patronal, ce qui caractérise cette période est la présence, à partir de la fin des années 1950, à plusieurs reprises, d’enseignants-chercheurs : quatre physiciens et trois chimistes vont présider la Société, dans une sorte de retour à la période la plus ancienne de la Société au xixe siècle. Cela n’exclut pas, au demeurant, des relations étroites de la plupart de ces scientifiques avec avec le monde industriel.
Alors que dans l’entre-deux-guerres, les liens avec l’Académie des sciences s’étaient quelque peu distendus, une relation régulière s’instaure entre 1951 et 1994, depuis Albert Caquot jusqu’à Paul Lacombe, qui témoigne d’une place encore importante de la Société dans le champ des grandes institutions scientifiques et techniques. La disparition de cette relation après 1994 reflète l’évolution signalée plus haut dans les orientations de la Société.
L’alternance entre les différents comités de la Société pour le fauteuil présidentiel, établie implicitement à partir de 1884 pour mettre fin au monopole du comité de chimie et pour prendre en compte les différentes compétences et spécialités professionnelles, alternance qui avait été suivie jusqu’à l’entre-deux-guerres, n’est désormais plus observée. On constate notamment l’absence totale de représentants du comité des arts mécaniques, alors que trois comités cumulent à eux seuls 8 places de présidents sur les 13 de la période : le comité des arts chimiques à quatre reprises, le tout nouveau comité de physique à deux reprises et les membres du comité des arts économiques à deux reprises également. Cette évolution traduit le souci constant d’adaptation aux mutations économiques, en s’appuyant sur les personnalités présentes dans les comités.
La fourchette des âges est très large, entre 49 et 78 ans, alors que durant l’entre-deux-guerres, elle allait de 58 à 78 ans; par contre la moyenne d’âge de 67,3 ans reste pratiquement identique à celle de la période précédente : 66,8 ans; le rajeunissement est donc limité, ce qui semble logique pour des personnalités qui ne peuvent que difficilement choisir entre leur carrière professionnelle et une présidence qui peut s’avérer très prenante.
La durée des présidences n’est plus marquée par la régularité qu’elle avait connue depuis 1885, où elle avait été fixée à trois ans, avec comme seule exception la présidence de Léon Lindet de 1913 à 1920. A partir de 1944, la durée des mandats va présenter des variations marquées, allant de 1 à 18 ans, la règle des trois ans étant d’ailleurs officiellement abandonnée à partir des années 1980. La moyenne calculée pour les douze présidents entre 1945 et 2011, s’établit donc à 4,8 ans, ce qui confirme la volonté d’opportunité évoquée plus haut à propos du choix des présidents..
A la différence de la première partie, la présentation des notices a été organisée en quatre grandes phases, correspondant à autant d’étapes dans l’évolution de la Société. Chacune fait l’objet d’une présentation générale préalable. Il n’y a pas non plus de bibliographie générale, uniquement des bibliographies particulières que l’on trouvera en fin de notice.
Pour cette période et pour l’activité dans le cadre sociétal des personnes présentées, les sources d’archives constituent la base majeure du travail d’analyse et de présentation. Elle sont aussi l’aliment essentielle de mise en contexte, relativement à l’évolution de la Société.
Ces sources, disponibles pour certaines depuis peu de temps, sont d’ailleurs encore en cours d’inventaire et d’exploitation pour les deux dernières présidences, respectivement de Bernard et Olivier Mousson. Ces deux présidences et leur contexte ne peuvent donc être présentées que de manière générale.
NB : A la date de première mise en ligne (25/10/2024) les notices de ces deux dernières présidences ainsi que leur présentation générale ne sont pas encore accessibles.
Gérard Emptoz,
avec la collaboration de Daniel Blouin,
Commission d’histoire de la Société d’encouragement.
Pour consulter les présentations générales de chacune des quatre étapes, vous pouvez cliquer sur leur titre.
Pour consulter la notice d’un président, vous pouvez cliquer sur son nom.
Les parcours des présidents de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale des années 1920 à nos jours
Première partie : des années 1920 à la fin de la Seconde guerre mondiale
Après 1918, la Société d’encouragement se trouve dans un environnement nouveau. Les pertes humaines sont lourdes, ouvriers, techniciens et ingénieurs vont manquer pour redémarrer les activités industrielles : la formation technique est un objectif qui s’impose. La remise en route des entreprises nécessite des solutions pour mettre en œuvre de nouvelles technologies dans des secteurs anciens. Il faut aussi prendre en compte de nouveaux secteurs d’activité : l’énergie avec l’arrivée du pétrole et l’électrification du pays, les transports avec l’auto et l’aviation, la chimie avec les industries de l’azote, l’aluminium et les métaux légers, les télécommunications enfin avec l’essor de la TSF. Il faut introduire également de nouveaux modes d’organisation du travail et de gestion des entreprises.
Elle reste fidèle à ses objectifs anciens, en présentant des matériaux et des technologies novatrices, y compris dans le domaine artistique, au besoin par des expositions, en sollicitant ses experts pour répondre aux demandes des industries, en finançant notamment des recherches à caractère scientifique dans la continuité de la démarche amorcée à la fin du siècle précédent ; elle souhaite également, comme elle avait commencé à le faire avant 1914, promouvoir la normalisation ainsi que la rationalisation des processus industriels, maintenir l’importance du pôle d’information et de documentation qu’est la bibliothèque et enfin maintenir la qualité de son bulletin ; elle veut également continuer à jouer un rôle de conseil auprès des instances gouvernementales. Elle continue cependant à affirmer sa vocation de société généraliste, malgré la concurrence des sociétés industrielles et professionnelles spécialisées.
Ayant dû sa prospérité, dans les périodes précédentes, aux revenus de placements judicieux de ses fonds et surtout aux revenus des fondations dont elle pouvait bénéficier en tant que Société d’utilité publique, elle se trouve désormais confrontée à la fin du franc stable. Elle doit affronter des difficultés financières croissantes, qui pèsent sur ses activités, financement de recherches, publication du bulletin, activité de sa bibliothèque. Après une brève apogée dans les années 1920, elle enregistre, malgré les efforts de ses présidents, un déclin marqué de son sociétariat, preuve d’une certaine perte de son rayonnement.
Elle souhaite cependant s’ouvrir aux questions économiques et sociales qui prennent de plus en plus d’importance, en particulier durant la seconde moitié de la période où elle débat de l’organisation économique, de la législation sociale, des relations de la France et de son Empire colonial, ce qui la conduit à se faire le porte-parole des vues d’un patronat de plus en plus présent dans ses instances dirigeantes. Elle choisit toujours ses présidents selon les modalités qu’elle avait établie après la fin de la longue présidence Dumas, en 1884 : ils sont en principe issus à tour de rôle de ses six comités spécialisés, qui sont les arts– au sens d’activités productives- les arts mécaniques, les arts chimiques, les arts économiques (qui depuis la réforme de 1876 inclut les applications de la physique, son principal domaine dans la pratique), les arts agricoles, la construction et les beaux-arts, ainsi que le commerce ; ils sont renouvelés tous les trois ans. Dans la pratique, ces principes ne seront pas toujours respectés, puisqu’aucun président ne sera issu du comité des arts économiques, deux viendront du comité de constructions et beaux-arts, et un président sera issu du bureau, étant le trésorier de la Société.
Sur les sept présidents de la période, cinq sont des ingénieurs dans différentes spécialités, en majorité des polytechniciens passés par les grands corps : deux sont issus de l’École des mines de Paris (Baclé et Sauvage), deux issus de l’École des ponts et Chaussées (Mesnager et Alby), et un de celle du Génie maritime (Lacoin). Les spécialités professionnelles représentées dans ce groupe sont la métallurgie, les chemins de fer, les travaux publics, le génie maritime. Quatre d’entre eux appartiennent au monde du patronat au moment de leur mandat, après avoir exercé d’importantes fonctions de direction technique, Baclé, Mesnager, Alby et Lacoin ; Sauvage a eu des fonctions de direction technique dans de nombreuses compagnies ferroviaires.
L’un des deux restants est un scientifique, agrégé et docteur en sciences naturelles, botaniste, Mangin, qui a été professeur de cryptogamie et est devenu directeur du Muséum national d’histoire naturelle le second est un diplômé de l’École des Beaux-Arts, architecte et décorateur, Magne, qui est professeur d’art appliqué au CNAM et directeur des laboratoires de cette institution.
Le groupe dominant est donc celui des grands ingénieurs, experts dans leur domaine, très liés aux milieux du patronat, ce qui est une nouveauté par rapport à la période précédente. Cette expertise et cette importance dans leurs fonctions professionnelles les font reconnaître par leurs pairs pour présider la société et la représenter auprès des autorités de l’État.
Par contre, l’appartenance à l’Académie des Sciences, fréquente durant la période précédente, l’est beaucoup moins durant cet entre-deux-guerres ; seuls en font partie Mesnager et Mangin.
Le tableau ci-dessous résume les dates, les formations, les spécialités, les appartenances aux comités de la Société ainsi que les dates de mandats des présidents de cette période. En cliquant sur leurs noms, vous pouvez accéder à la notice correspondante.
Gérard Emptoz,
avec la collaboration de Daniel Blouin
Commission d’histoire de la Société d’encouragement,
Sources et bibliographie générales de la première partie :
Sources :
Archives de la Société d’encouragement (ASEIN) :
GEN-R40 à R42, procès-verbaux du conseil d’administration (PV du CA), 1886-1946.
GEN-R52, procès-verbaux des réunions du bureau, 1925-1931.
GEN-2/27 à 41, dossiers présidentiels et du bureau, 1904-1921.
FIN-9/113-125 ; FIN-10/126-140, comptes généraux et comptes des fondations, 1920-1933 ; 1934-1947.
Sources imprimées :
Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale (BSEIN), volumes 89-156, 1890-1943.
Annuaires des membres de la Société, 1889-1933.
Catalogue imprimé des périodiques de la bibliothèque de la Société, 1925, suppl. 1932.
Etudes :
Antoine Prost, Les Français d’une guerre à l’autre. 1914-1948, NRF, Gallimard, 2024, notamment les chap. “La Montée des droits”, p. 65-88, “De la reconstruction à la crise”, p. 89-111.
Jean-Claude Daumas (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, Flammarion, 2010.
Serge Benoit, Daniel Blouin, Gérard Emptoz, « La Société d’encouragement pour l’industrie nationale, une institution bicentenaire au service de l’innovation », Bulletin de la Société historique du VIème arrondissement, nouvelle série n° 24, Année 2011, p. 139-150.
Gérard Emptoz, « Les douze premiers présidents de la Société d’encouragement, un siècle d’histoire », Bulletin de la Société historique du VIème arrondissement, nouvelle série n° 24, Année 2011, p. 151-161.